1er fanion
1er fanion

Un Porte-Étendard nommé Ernest

 

Ernest était l’archétype de la célébrité modeste et sympathique.  Pensionnaire de l’Hospice Dronsart, il n’avait jamais connu que cet établissement. Sa maigre silhouette toujours en mouvement, ses cheveux hirsutes, son visage buriné à la hache, son pantalon trop court, il était bien trop léger pour être incorporé dans la catégorie « poids coq ».

Ce brave Ernest ne manquait jamais un défilé ou une quelconque manifestation de l’Harmonie et ce n’étaient pas « les vins d’honneur » qui l’attiraient, mais l’ambiance, le plaisir de rencontrer des vrais amis.  Un jour, un musicien bien intentionné, lui proposa de porter la « Bannière »…  Comment décrire l’immense bonheur qui illumina soudainement son visage ; ses yeux se mirent à scintiller à travers le filtre de ses épais sourcils.  C’est alors qu’apparut un problème de taille, la bannière avec toutes ses médailles et ses accessoires était bien plus lourde que notre héraut…   Rien à faire, Ernest était bien trop heureux d’être intégré dans la société et de porter la responsabilité de son emblème.  Il fallait alors trouver une solution.  Deux gardes du corps costauds l’accompagneraient et interviendraient au cas où un violent coup de vent se produirait lors de la traversée du pont à l’occasion du défilé du 11 novembre, par exemple.  Cette éventualité n’avait, bien sûr, pas du tout été envisagée par notre intrépide gaillard.  Pendant des années, Ernest a assuré cette charge avec toujours autant d’enthousiasme et de fierté, faisant fi de ses douleurs articulaires.  Un jour, il décida à formuler une réclamation … Malgré ses nombreuses années de service, aucune médaille ne lui avait été proposée.  Le registre des récompenses officielles ne mentionnait pas ce cas d’espèce…  Alors, d’un commun accord, les membres de l’Harmonie se débrouillèrent pour combler cette lacune…   On choisit l’une des plus grosses médailles du catalogue à l’effigie de la République, en bronze.  Il suffisait de percer un trou assez grand pour pouvoir y passer le large ruban en soie moirée violet…  Une solide attache et le tour était joué.  Un vieux diplôme, un peu vieilli, mais soigneusement restauré et modifié.  Tout était prêt pour les cérémonies du 14 juillet…  Cette année-là, le défilé officiel s’acheva au Parc municipal.  La journée était magnifique.  Un grand kiosque avait été installé au fond du jardin public…  La Batterie Fanfare au complet formait la Haie d’Honneur.  Timidement, notre Porte-Etendard, guidé par ses servants s’avança vers le kiosque tandis que tambours et clairons ouvraient « le ban ».  Les Gardes du Corps, très cérémonieusement, se chargèrent de la Bannière et prièrent notre brave Ernest de gravir les quelques degrés qui l’amenèrent au Podium.  Monsieur le Maire et ses Conseillers, Monsieur le Président et tous les membres du Comité attendaient notre récipiendaire.  Deux petites filles tout de blanc vêtues, portaient chacune un coussin de velours pourpre.  Sur l’un on pouvait remarquer une magnifique décoration, sur l’autre une casquette de musicien fantaisie avec tout ce qu’il y avait de luxueux dans les broderies d’argent.  Un jeune élève de l’école de musique était chargé de présenter le diplôme garni lui aussi d’un très officiel ruban violet.  Une allocution fort élogieuse de Monsieur le Maire, un petit mot du Président rappelant brièvement les mérites et le dévouement d’Ernest, la remise solennelle de la décoration, de la casquette et du diplôme, une fermeture de « Ban », la cérémonie de ce 14 juillet I954 prenait fin par une vibrante « Marseillaise ».  Après les « Vins d’honneur » offerts par la municipalité, une délégation de musiciens présenta de la part d’Ernest, un paquet de bonbons aux Dames et un paquet de tabac gris aux vieux pensionnaires de l’Hospice.  Après cet événement mémorable, notre brave Ernest n’a plus voulu se séparer de sa casquette ni de sa décoration qu’il portait tous les jours et en particulier le jeudi, jour de marché.

On a bien failli faire mourir d’émotion notre valeureux porte-étendard.  Nous sommes sûrs cependant d’avoir réussi à rendre un homme heureux.

 

                                                                                                                      Maurice Bétrancourt