LES MEMOIRES D'UN PETIT GARCON

Guy Lobeau raconte dans son livre "ils ont vécu la grande guerre", l'histoire de ses grands-parents bouchinois et de leurs jeunes enfants pendant l'occupation allemande de 14/18". Voici leurs récits.

 

    VIE TRADITIONNELLE A BOUCHAIN AU DEBUT DES ANNEES 1900 D'APRES LA FAMILLE LOBEAU.

 

La famille fit construire une maison à Bouchain à l'actuel n°653 Boulevard Louis Havez. 

Ils ouvrirent un estaminet dans la pièce du bas. 

Les ouvriers partant de bonne heure avec leur train prenaient leur café, du Genièvre de Wambrechies que l'on appelait "bistouille" ou à du Cognac "Gloria". 

Le café vert était livré par un colporteur qui se déplaçait avec un chien tirant une voiturette. 

La consommation annuelle de bière par habitant était de 300 L en Ostrevant. 

Il y avait 4 brasseries à Bouchain, 2 à Lieu-Saint-Amand. 

A l'angle de la Place de la Gare, la famille LEMPEREUR tenait un café.

Leur fils, Rodolphe sera maire à Bouchain. 

Il y avait un autre café tenu par Mme LOGNON (magasin Motobécane). 

Dans l'ancien relais de poste sur la chaussée de Cambrai, la famille MAHIEU gérait une fonderie. 

Le docteur Louis VIENNE rue Georges Daix (rue des Jardins)possédait une automobile conduite par un chauffeur: Lucien PAMART. 

Le chef-lieu de canton ayant son peloton de gendarmerie, la Maréchaussée à cheval passait de temps en temps. 

La consommation de pain était de 450 gr par habitant. 

Mr SEULIN venait à la gare avec sa calèche et transportait des personnes. 

Un seul dentiste exerçait à Iwuy, M. DUSSART tenait la pharmacie à Bouchain. 

 

UNE VIE ORDINAIRE 

La nourriture était à base de pain, de soupe, de ragoûts et de légumes. 

L'eau était sortie d'un puit à l'aide d'une pompe. 

L'éclairage était au gaz. 

La famille portait des sabots mais aussi des galoches. 

Les tinettes se trouvaient à l'extérieur (un tonneau recouvert d'une planche). 

La lessive se faisait au baquet. 

Les garçons allaient chercher du cresson de rivière.

 

DES JEUX ET DES JOIES SIMPLES 

L'hiver, lorsque l'eau du fossé du rempart et les étangs gelaient, les bouchinois patinaient vers les étangs. 

Les élèves allaient cueillir des violettes qu'ils offraient à leur maîtresse d'école.

Les étangs furent rebouchés après la guerre. 

On jouait aux dosses (billes), au jeu de la "guiche" ou à la "taillette".

 

DES DIVERTISSEMENTS

Les mardi-gras s'accompagnaient du traditionnel déguisement de carnaval.

Il y avait des concours de natation et de pêche dans l'Escaut, des joutes nautiques et des exhibitions de gymnastes.

Au 14 juillet, on dressait un mât de cocagne ou arbre à savon en haut duquel on accrochait des saucissons.

Il y avait des courses en sac, un bal ; parfois, un théâtre de Guignol et aussi des séances de cinéma.

 

DE CURIEUSES DISTRACTIONS 

Un enfant se noya dans le bras de l'Escaut qui passait devant le moulin Risbourg. 

 

SOUVENIRS DE GUERRE D'UN PETIT GARCON

Des soldats cantonnés à la caserne étaient peu nombreux.

Le soldat TISON gardait un aéroplane tombé à la sortie de Bouchain, route de Boucheneuil où étaient installé un aérodrome militaire.

L'ambiance était bonne, l'aîné des fils RUCARD disait: "dans 15 jours, on est à Berlin"

Rodolphe LEMPEREUR disait qu'il "ferait un trou pour s'y mettre si par malheur les prussiens arrivaient".

Louis HAVEZ, médecin, avait un énorme pansement au gros orteil ; il est mort le 16 octobre 1918 à Paris. 

Après la mi-août, le dirigeable "Dupuy de l'Homme" passa au-dessus de la ville.

 

LES PREMIERS EVENEMENTS 

Deux trains arrivèrent en gare chargés de soldats sans armes, au nombre de 2000, qui avaient pris part aux combats et à la retraite de Charleroi.

Les prussiens tirèrent (23/08), ils étaient déjà dans le rempart parallèle au Bd Louis Havez..

Une "farinière" attelée de 2 gros chevaux passa devant la maison ; le conducteur réclama à boire ; ma mère prit un litre de genièvre, les balles sifflèrent : les allemands embusqués au bout des remparts abbattirent les chevaux (le monticule marquant l'endroit où furent enterrés les chevaux resta visible, même après la guerre).

Les Uhlans furent les 1er à occuper le terrain ; leurs hurlements nous glaçaient  le sang.

De son cheval, un officier allemand demanda une boisson à ma mère ; elle lui apporta de la grenadine dans un pot-à-lait ; méfiant, il l'a fit d'abord boire.

J'ai vu un autre officier à cheval cravacher un soldat en pleine figure.

 

  LES PREMIERS JOURS APRES L'ARRIVEE DE L'ENNEMI

Des espions avaient placé des réclames du "Bibendum" Michelin en caoutchouc pour jalonner l'itinéraire de l'envahisseur.

Mes parents cachèrent notre drapeau français derrière la porte de l'escalier.

Les CAILLAU cachèrent leur vélo dans le grenier, les RUCARD emmurèrent leurs bicyclettes.

La Kommandantur fut vite installée et les ordres ne manquèrent pas, assortis de menaces en cas d'inobservation.

 

  LA VIE AU DEBUT DE L'OCCUPATION

Certains allemands se servaient des bouteilles de vin sorties par les soupiraux de la cave des MAHIEU.

Ma maison fut occupée par des officiers allemands.

Melle DAIX remplaça les instituteurs partis à la guerre ; elle eut fort-à-faire avec les grands (Germain GUIDEZ et Charles HOCQ).

L'église fut transformée en magasin à vivres ou en hôpital, nous allions à la messe au moulin Risbourg.

Les jeunes gens étaient réquisitionnés pour faire des tranchées à côté du pont.

 

  LA MISERE S'INSTALLAIT PETIT A PETIT

Mes parents fermèrent l'estaminet, mon père travaillait à la ferblanterie Béthune, Bd de la République (route de Cambrai) qui fabriquait des seaux et des casseroles.

Il fallait se débrouiller pour manger.

Des allemands s'amusèrent à tuer notre chat......

 

  DES REQUISITIONS DE TOUTES SORTES

Nous cachions les plateaux en cuivre et les poids de la balance Roberval.

Un gendarme cassa avec une petite hache le robinet en cuivre de distribution de la bière.

La population fut convoquée à l'église et entendit un officier exiger "1000 têtes,1000 oreilles, 1000 bras"

Le ramassage des orties étaient obligatoires; ds jeunes gens étaient réquisitionnés pour vider les cabinets des maisons.

 

  UN INCIDENT A L'ECOLE

 Un soldat reçu une boîte contenant de l'eau et des fleurs jetées par l'élève TISON dans la classe de Mme Delorme au 1er étage.

Ce soldat vint en fureur, mais se rendit compte qu'il n'était pas victime d'un acte délibéré.

 

  LES RESTRICTIONS ALIMENTAIRES ET LA RECUPERATION ALIMENTAIRE.

Un jour, un soldat allemand demanda à ma mère si elle voulait lui faire un gâteau.

 " d'accord, mais avec quoi?"

"je vais revenir avec tout ce qu'il faut"

Il lui apporta de la belle farine blanche, une livre de beurre, 6 oeufs et du sucre.

Ma mère substitua à la farine, le son

Elle utilisa du saindoux plutôt que du beurre, un peu d'amidon jaune pour faire croire aux oeufs et de la cassonade à la place du sucre.

Le soldat mangea ce gâteau et dit"gut madame"

et elle de répondre " tu vas avoir tes boyaux amidonnés"

et plus nous rigolions, plus il riait avec nous.

 

Un prisonnier anglais tout maigre vint derrière la maison pour essayer de trouver de la nourriture ; par crainte des représailles, nous hésitâmes à le ravitailler ; nous n'avions pas grand chose : 125gr de pain par jour pour 5.

L'affamé ramassa quelque chose dans le fumier.

Les germains amélioraient leur ordinaire en pêchant au lancer de grenade dans l'étang.

On avait entreposé beaucoup de marchandises au tordoir ; gare à celui qui se faisaient prendre à emmener une peccadille - il recevait une bastonnade mémorable.

Les manutentions étaient faites par des prisonniers russes qu'on avait surnommés "de la viande à boches" tellement ils étaient maltraités.

Ils travaillaient également à la scierie installée par l'occupant.

Ma mère cachait ses Louis d'or dans le savon de Marseille.

 

  MES PARENTS VICTIMES DE LA SEVERITE DES REGLEMENTS DE l'OCCUPANT

Il fallait payer pour obtenir un laisser-passer que mes parents refusaient de demander ; ma mère se fit enfermer une  fois pour ne pas avoir payé ses amendes.

Mon père se vit condamné à verser une amende ou  jours de cachot pour avoir refuser d'obtempérer aux allemands ; il fit de la cellule à Denain en compagnie de curé de Bouchain.

Ma mère paya l'amende au bout du trentième jour de cachot ; mon père revint sale, couvert de poux, son teint était jaune citron.

 

  LA LIGNE DE COMBAT SE RAPPROCHAIT

En octobre 18, les obus éclataient entre Hordain et Bouchain, le front reculait, les Fritz subissaient la poussée des canadiens.

Sous cette grêle d'obus,  nous descendîmes à la cave, mais profitant d'une accalmie, nous partîmes provisoirement chez Mr LEGRAND, marbrier (actuellement au 34 de la rue Hubert Gallez).

Dans la nuit, le garde-champêtre sonna l'ordre d'évacuation à minuit à toute le population.

 

  UNE EVACUATION FATALE

Le 7 octobre, nous partîmes avec des sacs à dos et 3 petites charettes ; il faisait froid.

Nos parents franchirent le pont tandis que nous attendions sur la digue qu'ils nous fassent signe de passer.

Nous traversâmes vite sous les tirs tout comme les soldats allemands.

Un obus éclata dans l'eau en bas du pont ; le souffle me projeta un peu plus loin, mon frère eut le menton tailladé.

Mme MACAREZ, dont le mari était mobilisé fut éventrée et décéda rapidement.

Ma mère était blessée et ne savait plus bouger les jambes ; un éclat d'obus l'avait touché au bras et l'autre dans son flanc.

Mon père partit à l'hospice Dronsart, transformé en hôpital, demander du secours aux allemands.

Ma mère fut transportée dans une remorque pour grands blessés puis gagna l'hospice-hôpital de Denain.

Elle mourut 2 jours plus tard , le 9 octobre, elle venait d'avoir 39 ans.

Nous trouvâmes asile chez des cousins de mon père à Denain où nous sommes restés quelques jours.

La région fut libérée le 18 octobre.

 

  L'inhumation de Louise SHULDRES se fit à Lieu-Saint-Amand ; elle n'a pas d'acte de décès ni à Bouchain, ni à Denain, ni à Lieu-Saint-Amand.

La ville de Bouchain n'a pas inscrit le nom des victimes civiles sur son monument aux morts.

Seule sa tombe témoigne pour elle.